#Ÿnspire – Louis Jacquot – Co-fondateur de Cuistots Migrateurs

01/12/2021

L’impact guide le quotidien de tous les Ÿnsecters : comment nourrir la planète tout en préservant les ressources et la biodiversité ? Au fur et à mesure que nos initiatives s’élargissent, nous avons décidé de donner la parole à ceux qui contribuent à changer le monde, à proposer des alternatives et à renforcer la durabilité. Aujourd’hui, nous rencontrons Louis Jacquot, co-fondateur de Cuistots Migrateurs, une entreprise qui propose aux réfugiés de partager leurs cultures, d’apprendre le français et de trouver un emploi grâce à la cuisine. Nous avons pu échanger sur le projet, l’école qu’ils ont créée, les candidats, les défis à venir, mais aussi l’avenir de l’alimentation, la place des insectes dans celle-ci et le changement de perception du public à l’égard des réfugiés.

Comment est née l’idée des Cuistot Migrateurs ?

Née en 2016, Les Cuistot Migrateurs est une entreprise sociale née d’une idée commune de Sébastien et moi-même. Nous voulions créer une entreprise à double finalité économique et sociale. Nous étions encore à la recherche d’une idée lorsque la crise migratoire de l’automne 2015 s’est produite. L’idée de permettre aux réfugiés de s’intégrer à la culture française par un métier qui utilise leur culture nous est alors venue : par la cuisine ! Notre modeste objectif est de participer à changer la façon dont nous percevons les migrants. Trop souvent dans les médias, les migrants sont dépeints comme étant liés à des problèmes, des drames et des menaces. Nous voulons montrer qu’ils sont une force et que ces gens ne sont pas là par choix, mais pour survivre.

 

Pourquoi la cuisine comme vecteur d’intégration ?

La cuisine était un choix évident car Sébastien et moi partageons cette passion. Nous aimons la cuisine délicieuse et avons eu la chance de voyager beaucoup, de dîner dans de nombreux endroits différents à travers le monde. De plus, la cuisine rassemble : c’est un moment de plaisir et d’échange. Nous voulions vraiment renverser le négatif autour des réfugiés dans notre société sur cette tête, en le remplaçant par du dynamisme et du goût à la place !

Crédits photos : Guillaume Czerw

 

Comment s’organise le recrutement des réfugiés ? La langue peut-elle être une barrière ?

Au début du projet, nous n’en savions rien et n’avions aucun contact dans ce domaine. Nous avons commencé par discuter avec des acteurs comme Singa, France Terre d’Asile, etc., qui nous ont aidés à recruter des réfugiés. La langue est évidemment une difficulté mais nous essayons de trouver des personnes ayant un niveau suffisant en anglais ou en français. Par ailleurs, au-delà de la cuisine, nous mettons l’accent sur l’apprentissage du français. Nous recherchons avant tout des personnes motivées qui ont envie de partager leurs recettes et leur culture.

 

Vous avez lancé un appel aux dons pour la création d’une école de cuisine pour les réfugiés, et les premiers stagiaires sont entrés dans la vie professionnelle ! Quelle est votre conclusion ?

Cette école est le troisième volet de notre projet initial. La première partie est notre activité traiteur et la seconde, la publication d’un livre de cuisine qui raconte notre histoire et détaille nos recettes. Cette école est le résultat de notre mission sociale. Aujourd’hui, la restauration compte 100 000 postes à pourvoir et les professionnels peinent à recruter. Nous proposons donc une formation gratuite de quatre mois et demi avec certification, qui prépare les étudiants au titre professionnel de commis de cuisine. Notre programme pédagogique s’articule autour de cours de français, d’ateliers CV et de l’acquisition de « soft skills »… comme la cuisine bien sûr ! Grâce à nos partenaires et à un consortium d’acteurs qui participent à la formation, nous sommes en mesure de promouvoir notre école auprès des populations réfugiées pour les inciter à adhérer. Grâce à nos partenaires et à un consortium d’acteurs qui participent à la formation, nous sommes en mesure de promouvoir notre école auprès des populations réfugiées pour les inciter à adhérer. C’est très gratifiant à voir ! 70% des premiers étudiants ont déjà trouvé un emploi moins de 3 mois après la fin de leur formation. Cet accès à l’emploi est notamment facilité par un stage de 3 semaines en fin de formation dans l’un de nos établissements partenaires, dont BMK Paris, Bao Family, Hector Traiteur, Le Bichat, Lecointre, etc. Nous leur sommes très reconnaissants pour leur partenariat ! Un an après la création de notre école, nous continuons à recevoir de nombreuses candidatures, à tel point que nous réfléchissons à ouvrir une école plus grande et à développer d’autres formations liées à la cuisine, comme le room service.

©Corentin Fohlen. Paris. 18 janvier 2021. Premiere formation de l’ecole des cuistots migrateurs aupres de 10 etudiants refugies en France. Préparation d’un glaçage de légumineuses.

©Corentin Fohlen. Paris. 18 janvier 2021. Premiere formation de l’ecole des cuistots migrateurs aupres de 10 etudiants refugies en France. Préparation d’un glaçage de légumineuses.

 

Comment contribuez-vous à changer le regard du public sur les réfugiés ?

L’idée est de montrer que les réfugiés ne sont pas des gens qui sont venus pour profiter ou nous prendre des choses, mais pour travailler. Nous le prouvons avec l’école et notre entreprise de restauration. Nous essayons également de diffuser notre histoire : via notre livre, les réseaux sociaux et les événements. Nous voulons prouver que ce que nous voyons dans les médias n’est pas le reflet fidèle de qui ils sont !

 

Vous avez une entreprise aux valeurs très fortes de partage et de solidarité, quel message aimeriez-vous transmettre au public ?

Je me souviens d’un événement où plusieurs personnes nous ont demandé où étaient les réfugiés. Même s’ils rendaient service. Cette histoire est un témoignage de la fausse image que le public se fait des réfugiés. Par nos actions, nous espérons transmettre la curiosité des autres et des autres cultures ; la bienveillance et l’ouverture aux autres manquent à notre société. D’ailleurs, la composition de notre équipe de cuisiniers en est la preuve : nous sommes tous issus d’horizons et de cultures différents et pourtant, notre association fonctionne car chacun d’entre nous est capable d’apporter son point différenciateur sur la table – littéralement ! Nous aimerions inspirer les autres à faire de même.

Crédits photos : Guillaume Czerw

 

Nous nous dirigeons lentement vers une crise alimentaire sans précédent, comment pensez-vous qu’elle impactera le secteur de la restauration ?

Nous ne regardons pas si loin, mais nous essayons déjà de faire quelque chose. Par exemple, nous développons de plus en plus de recettes végétariennes et végétaliennes, ce qui est un véritable challenge puisque la viande est présente dans de nombreuses recettes. Nous essayons également d’être plus saisonniers, mais il est parfois difficile de trouver des recettes pour toutes les saisons. Nous avons une réelle volonté de réinventer la cuisine, de faire en sorte que chacun puisse y apporter du sens et de la créativité, soit en apportant des idées de chez soi, soit en étant inventif sur les ingrédients.

 

Depuis peu, le ver de farine a été autorisé à la consommation humaine, seriez-vous prêt à l’intégrer dans vos recettes ?

J’ai déjà eu la chance d’en goûter, mais c’était toujours de manière récréative : sous forme de chips, d’apéritif, etc. Je n’en ai jamais mangé de ma vie en entier, ni en plat principal, mais je suis curieux!

 

Envisagez-vous d’internationaliser votre projet dans des pays où le nombre de réfugiés augmente (par exemple l’Angleterre) ?

Aujourd’hui nous sommes présents à Montreuil et délivrons nos services en Ile-de-France. Il y a encore beaucoup à faire ici. Nous allons nous concentrer sur notre projet d’école. Après, nous aimerions nous étendre à d’autres villes françaises et même à l’étranger à très long terme. Mais la priorité reste de nous structurer, d’améliorer notre offre et de prendre le temps de réfléchir à notre développement.

 

*Crédits photos:

  • Portrait Louis Jacquot : William Kano