Rédigé par Martin Sevaistre, Responsable achat Matière Première chez Ynsect
La crise sanitaire, économique et politique que nous connaissons depuis deux ans a suscité un vif débat sur le devenir du système alimentaire mondial. La pandémie du Covid et plus récemment, la guerre en Ukraine, nous ont rappelé l’importance d’avoir des filières d’approvisionnement durables et locales. La France, 1er producteur Européen et 5 ème exportateur mondial de blé, s’inquiète elle aussi de la situation. Bien que le pays soit autonome, il subit aussi de plein fouet la hausse des prix céréaliers.
Dans ce contexte, il est impératif d’augmenter la production de protéines sur le sol français pour améliorer la compétitivité de la filière agricole et continuer à assurer une alimentation saine et abordable. La production d’insectes est en cela un levier très intéressant pour gagner notre souveraineté alimentaire. Mais pourquoi ? En quoi la filière des insectes comestibles offre-t-elle une solution durable pour répondre aux enjeux alimentaires du pays ?
La France, encore dépendante des importations
La pandémie, puis la guerre en Ukraine, ont montré que la France était capable de subvenir aux besoins de sa population, même frontières fermées. Toutefois la crise a également montré la faiblesse de notre modèle alimentaire et les dépendances que nous avons sur certains segments importants. A ce jour, la France est encore loin d’être autonome : nous importons massivement des produits agricoles étrangers pour satisfaire notre consommation d’aliments. 20% des produits que nous consommons proviennent de l’étranger ! Cette part a doublé en vingt ans et dépasse même les 50% dans certaines filières, comme les fruits et légumes et de la volaille.
Sur la filière des céréales, c’est tout autre chose. La France est une puissance céréalière reconnue sur les marchés internationaux. Chaque année, le pays exporte environ la moitié des grains qu’il produit, soit 35 millions de tonnes. Cette production massive, et de qualité, lui permet d’assurer pleinement son indépendance alimentaire. Pourtant, malgré ses capacités, le pays n’a pas été épargné par la crise politique et économique. La hausse des prix a eu un lourd impact sur le porte-monnaie des français. Ceux-ci ont augmenté de 24 % en 2022 en comparaison avec ceux de la même période l’année précédente, créant une insécurité alimentaire pour les ménages les plus pauvres.
A cette difficulté, s’ajoute la demande pressante des pays méditerranéens et de l’Afrique subsaharienne pour un approvisionnement en blé. La baisse des exportations de céréales russes et ukrainiennes et l’inflation empêchent non seulement ces pays d’approvisionner correctement leur population mais aussi de faire des stocks. Ils se tournent donc vers la France, première terre céréalière d’Europe. La France doit donc envisager de répondre à cette demande, en plus des besoins habituels. L’enjeu est grand pour un si petit pays, dont les capacités sont déjà bien dépassées.
Pour se protéger de la volatilité des prix du marché et assurer ses approvisionnements, la France doit mieux s’organiser si elle veut assurer une alimentation saine et abordable pour sa population. Consciente des limites de son modèle, elle s’est engagée dans une reconquête de sa souveraineté alimentaire. L’ambition de ce plan est claire : augmenter la production de protéines sur le sol français pour regagner son autonomie face aux pays tiers.
Reconquérir la souveraineté alimentaire par les protéines
Les événements de ces deux dernières années font écho avec la crise alimentaire mondiale de 2007–2008. Les grands pays exportateurs comme l’Inde avec le riz, avaient alors restreint leurs exportations dans le but de préserver l’approvisionnement national, ce qui avait plongé dans un état de crise plusieurs pays, surtout les pays d’Afrique. Les crises actuelles entrent en résonance avec les précédentes, mais nous avons tiré des leçons de cette Histoire. Et la France entend bien se protéger. La souveraineté alimentaire figure au premier plan de ses préoccupations : un plan de relance des protéines végétales a été mis en place dans ce but. Toutefois, les initiatives engagées n’ont pas suffi pour obtenir une véritable transition du monde agricole et gagner en autonomie protéique. En effet, l’une des pistes envisagées par le gouvernement était de déployer la culture du soja. Mais un tel projet pose un problème d’ordre écologique : cette culture est extrêmement gourmande en eau et en espace. Il nous faudrait multiplier par huit nos surfaces agricoles si nous voulions produire l’équivalent des quantités qu’on importe aujourd’hui ! Produire davantage de colza a aussi été envisagé par les politiques agricoles, mais sa culture nécessite des quantités importantes d’engrais et de produits phytosanitaires, conduisant à un lourd impact environnemental.
Ainsi, à ce jour, les filières protéiques diversifiées et complémentaires sont la meilleure solution que nous ayons pour un développement vert et résilient. Par exemple, les protéines d’algues, les protéines issues de la fermentation, ou encore celle — on y arrive ! — produite par les insectes.
Les insectes, la nourriture de l’avenir
Les insectes sont aujourd’hui perçus comme la nourriture de l’avenir. Leur production représente un marché très prometteur pour la consommation humaine, animale, mais aussi la nutrition des plantes, en raison de leur apport nutritif et de leur faible empreinte environnementale. De plus, la protéine d’insectes est une filière indépendante des aléas climatiques et des cours mondiaux : elle ne nécessite aucune importation et peut se faire localement, ce qui garantit des rendements stables et sécurisés.
En tant que leader mondial de la production de protéines et engrais d’insectes, Ynsect s’est précisément donné cette mission : apporter à la France un approvisionnement durable en protéine grâce à ses fermes verticales d’insectes. Nous ne prétendons pas offrir une solution qui permettrait de combler le déficit protéique de la France, non ! Mais nous sommes convaincus que les insectes sont un levier important pour atteindre la souveraineté alimentaire.
Leur élevage a de nombreux avantages, à la fois économiques, environnementaux et nutritionnels. Nous avons par exemple prouvé qu’il était possible de produire 200 fois moins d’émissions que le bœuf et 20 fois moins que la volaille ! C’est une opportunité d’autant plus formidable que l’insecte a de nombreuses qualités nutritionnelles. Sur l’élevage animal, les résultats sont flagrants : +35% de croissance par rapport à une protéine végétale, et une réduction de 40% du risque de mortalité chez les poissons d’élevage. Des études montrent aussi que la protéine d’insecte a un effet positif sur certaines cultures : elle augmenterait de 20% les rendements de la vigne par exemple.Pour l’humain, elle serait bénéfique sur la régulation du taux de cholestérol. Par ailleurs, la protéine d’insecte est comparable à celle de la protéine de lait, ce qui la rend très digeste. L’insecte pourrait donc compléter nos besoins en protéines, derrière les sources végétales comme le soja par exemple. A titre de comparaison, le marché du soja représente 100 millions de tonnes à l’heure actuelle, là où la production d’insectes se cantonne à 1,4 million de tonnes selon le Céréopa.
Enfin, le dernier avantage des insectes est qu’ils utilisent peu de ressources et produisent peu de déchets. La production d’1 kg de protéines d’insectes nécessite 100 fois moins de surface agricole que pour 1 kg de protéines animales et permet d’économiser jusqu’à 25% d’eau, ce qui en fait une protéine particulièrement intéressante d’un point de vue environnemental. De plus, l’essentiel de la matière consommée par les vers Molitor est issue de la revalorisation de déchets organiques. Toute la production est valorisée dans un schéma d‘économie circulaire et zéro-déchet. Pour ce qui est du reste, nos insectes se nourrissent de son, un coproduit du blé. Nous nous approvisionnons en France, au plus près de nos fermes pour avoir un approvisionnement local dont nous garantissons la parfaite traçabilité.
Le projet Ynsect a pour objectif de mettre en place les fondements d’une nouvelle filière d’approvisionnement en protéines durable pour répondre au grand défi de l’alimentation mondiale. La chaîne de valeur que nous avons créé a déjà un impact positif à la fois sur l’environnement et sur l’économie. Elle constitue une solution écologique à la production de la viande, et une réponse crédible aux enjeux de nutrition, de santé et de souveraineté alimentaire que nous connaissons. Nous œuvrons depuis 10 ans en France, mais avons également des perspectives à l’international. Nous sommes déjà présents aux Pays-Bas, et souhaitons étendre le projet plus loin encore, pour aider d’autres pays à gagner leur souveraineté alimentaire.